Depuis que j’ai commencé mes premiers pas dans la vie professionnelle, je sens comme une pression sociale qui me pousse à définir ma position sur le féminisme. C’est peut-être parce que je travaille dans le milieu hautement masculin des Internets et des start-ups : on s’attend à ce qu’une nana qui travaille parmi les développeurs informatiques soit une Jeanne d’Arc des temps modernes, une Olympe de Gouge 2.0. J’enchaîne les évènements / conférences / ateliers et concours de shots « au féminin » qui teintent mes missions de marketing d’une coloration apostolique émanant des arcanes de la Parité. Quand je raconte ces évènements à mes congénères, je jongle entre des réactions ultra-encourageantes du type « La prochaine Mark Zuckerberg, c’est toi » (alors que moi je voulais juste les croissants gratuits) et des regards interloqués qui se demandent si je continue de m’épiler sous les bras.
Bien évidemment, je pars du postulat que le féminisme c’est super et que les inégalités c’est mal (c’est parce que je suis quelqu’un de bien). Mais quand il s’agit de me placer fermement sur le vaste échiquier du féminisme, j’hésite encore.
C’est pourquoi j’ai commencé par l’exercice, nettement plus facile, de décider si je préférais être un homme ou une femme.
Laissez-moi vous dire que le choix a été vite fait
Etre une femme, c’est beaucoup trop formidable pour y renoncer. Je préfère mettre les choses au point dès maintenant : les soit-disant avantages comme
– « Y’a plus de choix dans les magasins »,
– « On nous tient la porte »
et
– « On nous laisse la place dans le bus »
ça ne compte pas .
Premièrement, le truc des magasins, ce n’est pas un avantage, c’est un stratagème mesquin et vipère de la part de la société de consommation pour nous ruiner tou(te)s.
Ensuite, je ne sais pas si les théoriciens de la galanterie vivent au pays des Bisounours ou quoi mais en tout cas à Paris, personne ne laisse la place dans le bus. Le bus, c’est la jungle.
Enfin, en ce qui concerne les portes, merci du giga-cadeau que nous ont fait les moeurs machistes, c’est vrai que c’est ultra difficile de pousser des portes au quotidien. Elles se sont bien gardées, les moeurs machistes, d’imposer le : « Ne vous dérangez pas à mettre à jour votre police d’assurance, on s’en charge » ou : « Vous laisser faire la vaisselle ? Jamais, pauvres femmes inférieures ! »
Evidemment.
Et n’évoquez même pas le tant rabattu : « Avec vos paires de seins, vous pouvez obtenir des trucs« . Ce n’est pas le fait d’être une femme qui fait obtenir des trucs, comme des cafés gratuits ou une amende qui saute, c’est le fait d’être bonne. Etre beau ça aide dans toutes les situations, et ce qu’on soit homme, femme, entre-les-deux ou on-sait-pas-trop. Je soupçonne même les animaux de fonctionner comme ça. Avoir des seins est certes un avantage plus direct qu’avoir, au hasard, des beaux genoux, mais un franc sourire et une veste coupée correctement peuvent être tout aussi efficaces.
Le véritable truc cool quand on est une femme…
C’est qu’on peut se permettre des trucs que les hommes ne peuvent même pas oser en rêve.
Par exemple, imaginez qu’en réunion votre collègue Patrick se mette à faire une blague sur la sodomie. Tout le monde va le regarder bizarrement et se demander si ses problèmes d’alcool n’ont pas recommencés. Alors que si vous, jeune femme naïve et innocente, lâchez un gros : « Cet enculé n’a toujours pas signé le contrat ! », vous ne risquez vraiment pas grand chose. Au pire, vous passez pour une employée un peu malpolie qui exprime avec véhémence ses opinions; au mieux, toute la boîte vous désigne comme la nana décontractée, un peu trash, qui « dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas », et avec qui on n’échappe pas à la franche rigolade.
Notez que le même constat s’applique aux expressions :
« Qu’elle ferme sa gueule la mal baisée »
ou
« Calme ta joie, t’as tes règles ou quoi ? »
Quand on est une femme on peut aussi parfaitement commenter les kilos en trop de nos congénères sans passer pour des tyrans misogynes. Si Patrick se mettait soudainement à murmurer à la machine à café que Liliane aurait pu se passer de la mini-jupe vu l’ampleur de son cul, on lui jetterait des pierres. Vous, les femmes, vous passez pour des « bitches », certes, mais primo, être une chippie ça vaut nettement moins de points négatifs qu’être macho sur l’échelle du karma, et secundo, en réalité, tous vos collègues voudront être copains avec vous pour pouvoir bitcher tranquilou à la machine à café (car le bitchage n’est pas, contrairement à la croyance populaire, une activité exclusivement féminine, mais transcende les genres les races et les frontières).
Je vous donne un autre exemple, prenez la phrase : « Tu me plais, j’ai envie de baiser, là, maintenant, enlève ton pantalon », mettez-là dans la bouche d’un homme. Résultat : 68% de réponses par un coup de pied entre les jambes. Mettez-la dans la bouche d’une femme. Résultat : 76% de réponses par une admiration pour un courage progressiste et une affirmation ouverte et honnête de la libido féminine.
Pour résumer, là où les hommes passeraient pour des gros connards, nous on passe pour des femmes qui ont des couilles.
En somme, quand on est une femme, on peut être une femme ET/OU un homme.
Alors que les hommes, eux, peuvent soit être des hommes, soit des sales misogynes.
A choisir, je préfère largement être une nana, merci bien.
PS : non je ne suis pas (que) une dinde superficielle, voilà du (véritable) matos pour décider que le féminisme c’est drôlement chouette :